On l’attendait, elle était déjà là : la dernière ronde de Nationale IV Jeunes venait nous rappeler que le joli mois de Mai se clôturait déjà, la saison sportive avec lui … Une journée brûlante pour cette rencontre, celle de tous les dangers, car à ce stade de la compétition, les trois quart des équipes étaient encore concernés par un possible naufrage en N5… Le sélectionneur n’en menait pas large, la veille, devant sa feuille de match vierge qui lui fallait remplir avec à l’esprit que chaque décision, chaque placement de joueur sur le navire, choix de sa couleur de voiles, tout ça pourrait tout changer, nous faire arriver à bon port ou nous échouer sur les récifs : on avait vu en cours d’année, tellement de traversées se jouer sur d’infimes détails… Et c’est l’équipage « type » du club qui avait été convoqué pour honorer la réception d’Issy-les-Moulineaux, seule formation à avoir fait tomber l’ogresse Dame Noire, l’une des dernières aussi à jouer pour la montée. Nous eûmes le plaisir de recevoir dans notre salle « paquebot » du 10ème, et comme pour le déplacement à Arcueil, nous avions prévu une petite « table ronde » pour faire le point sur le planisphère de la Nationale IV et l’orientation à choisir. Nous sortions boussoles, sextants et longues-vues, à grand renfort de mousse de Cola sur les moustaches des apprentis Vikings, et assez vite, nous nous sommes mis d’accord sur le cap à tenir : être sérieux mais se faire plaisir, penser aux copains, au groupe, mais aussi à « créer », l’heure de placer ses « préparations » était venue, celle aussi d’invoquer l’esprit des grands « conquérants», celui aperçu, en cours, ces deux derniers mois, jouer donc avec panache et conviction, énergie et esthétisme, compter les points ensuite… Bref, on allait « envoyer du bois » ! Toc, toc, Issy-les-Moulineaux était déjà là, à l’abordage, nous finissions par : « à dans trois heures moussaillons et bon vent! »…
Après le rappel des règles élémentaires, portables coupés et écoutilles fermées, le chant radotant des sirènes mécaniques glaça soudain le pont… Tic-Tac, tic-tac, on entendait que ça, et de toute évidence, la pression était déjà sur les épaules de tout le monde, à commencer par celles des entraîneurs… Après 25 mn de jeu, une pièce en moins, Nayel LAGZOULI, heureux comme Ulysse de son beau voyage, se lève et cri « victoire ! » (Plus tard, ses co-équipiers lui diront merci, Nayel jouait un 1400 et ce n’était pas vraiment prévu qu’il gagnât…). A côté de lui, quelques minutes plus tard, qui s’était fait oublier, Léo MANSOURI, guerrier silencieux, à la surprise générale, lui aussi revenant d’un handicap d’une rame, réclame le gain et s’en va festoyer au Valhalla, le paradis des hommes du Nord, double ration d’hydromel! Son frère, un certain « sanglier furieux », parachève ce début tonitruant, et amène le score à 5-0 ! On ne pouvait rêver meilleure entame…
Mais dans toute odyssée il y a tempête (sinon ce ne serait pas drôle), et nous allions bel et bien essuyer les remous du gros temps (shakespeariens les remous…), car l’heure de jeu passée, la coque de PJE commençait à prendre l’eau… Stéphane POZNANSKI, ne parvient pas à refaire un retard matériel et malgré une belle attaque, est obligé de rendre les armes. Les poussins, Julien MANSOURI et Anthony NGUYEN, perdent leurs trois matchs, coups sur coups, et à 5-5, ce n’est plus du tout la même histoire, une nouvelle fois, tout allait se jouer sur les mers australes, aux trois premiers échiquiers, ceux des géants…
Echiquier N°3, Louis VAISSE affronte un adversaire bien connu en la personne de Mathieu FOULIARD, ces deux là, au sortir d’ouvertures bien maîtrisées et d’un essai infructueux de Mathieu de faire chavirer Louis à tribord, se dirigent vers une partie longue et compliquée. Echiquier N°2 Arnaud DENJOY subit lui aussi les assauts d’une voie d’eau, il la colmate, écope et ramène son embarcation à flot, on ne le surnomme pas Simbad le marin pour rien… Enfin, au gouvernail, échiquier n°1, le capitaine, Daniil ZLOTNIKOV, toujours au stade de l’ouverture, réfléchit de longues, très longues minutes, sait qu’il peut faire basculer la rencontre, il réfléchit encore, mais à quoi ? On prend peur à tant de grains de sable écoulés, la pression n’était-elle pas trop forte ? Tout semble pourtant relativement calme sur le clapot des 64 cases devant lui et puis coup de théâtre, ou plutôt coup de soleil! Daniil avait-il perdu la raison ? Marin d’eau douce, Bachibouzouk notre capitaine ? Il sacrifie une pièce ! L’assemblée se réunit autour, à n’en pas douter, on le sent bien, c’est l’instant clef, le cap Horn, peut-être le coup du match, voire celui de toute une saison, capitaine, ho mon capitaine, allais-tu tous nous faire boire la tasse ?
Les blancs vont jouer l'extraordinaire: 13. Fxh6!?
A la même latitude, bientôt 40 coups, Louis gagne un pion qu’il essaye d’envoyer de l’autre coté de l’horizon, sur l’île des dames et… Se rate. Glou, glou, glou… Les 40ème rugissants, ça ne pardonne pas… Dommage, dans cette empoignade magistrale, il y avait bien un gain mais le corsaire Surcouf a encore deux ou trois choses à apprendre (si, si)… Il ne fallait pas être cardiaque, puisque Arnaud, alors qu’on croit qu’il se fait planter une astucieuse combinaison qui perd au moins une pièce, prouve s’il le fallait encore, qu’il n’a pas besoin de bouée pour aller nager au large et mate en trois (avec, certes, l’aide inespérée de son duelliste) ! 7-7.
Restait la tentative de torpillage du capitaine Némo, son adversaire ayant répondu par l’acceptation de l’offensive, suivait un second coup de semonce : 15. Dg6 !
La suite est une échevelée attaque/défense, car en face ça résiste et plutôt bien, jusqu’à ce qu’une dernière « découverte » oblige le cuirassier Antoine à lancer son dernier S.O.S, cette fois-ci sans réponse… ! Toute l’équipe de PJE, elle, pouvait entonner « Hisse et Ho !», le dernier effort était bien derrière eux et la victoire si belle qu’elle nous offrait même le luxe de finir sur le podium, à la troisième place du classement général et définitif, dans une remontée finale héroïque et un suspense digne des productions Hollywoodiennes !
Toute l’équipe pédagogique de Paris Jeunes Echecs, se joint à moi, votre serviteur et sélectionneur, pour remercier et saluer comme il se doit, les jeunes acteurs de cette épopée, bravo les gars, c’est peu dire que nous sommes fiers de vous… Merci aussi aux parents d’avoir libéré du temps et de l’énergie pour rendre possible ces matchs, merci à Hélène MANSOURI pour son aide précieuse, Jacques BERNARD pour ses cours, rendez-vous l’année prochaine pour un nouvel ordre de mission : tenter l’accession en Nationale III… Un salut spécial au club d’Issy-les-Moulineaux pour sa sportivité et sa bonne humeur.